Erre, erre by Sébastien Brebel

Auteur:Sébastien Brebel [Brebel, Sébastien]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction
ISBN: 9782818049846
Éditeur: P.O.L.
Publié: 2021-05-15T00:00:00+00:00

7

Enfant, je détestais les forêts et je détestais plus encore les promenades en forêt. Aussi loin que je me souvienne, les forêts ont systématiquement suscité en moi des pensées morbides et oppressantes, et les promenades en forêt m’ont toujours inspiré les scénarios les plus terrifiants, des histoires se concluant systématiquement par un kidnapping d’enfant ou un crime atroce ayant pour victime un enfant.

J’ai gardé le souvenir d’une de ces promenades, ce devait être un dimanche d’automne, mes parents étaient encore ensemble et nous devions alors constituer une famille ordinaire, du moins à mes yeux, la meilleure preuve de ce bonheur familial étant que nous accomplissions le fameux rite dominical de la promenade en forêt, nous avions marché près d’une heure déjà, mes parents devant, je me rappelle leurs silhouettes désunies, distantes l’une de l’autre, ma sœur et moi à la traîne, jouant à faucher les fougères avec un bâton et à sauter sur les talus comme font tous les enfants en forêt, à un moment, ma mère s’est retournée et je vis presque instantanément son visage livide se crisper dans une grimace douloureuse et devenir laid, ses lèvres articulant le prénom de ma sœur, Hortense, murmura-t-elle, comme pour elle-même, sans chercher à être entendue de personne, pas même de mon père qui était à côté d’elle, je n’entendis pas sa voix mais le prénom de ma sœur parvint tout de même jusqu’à moi, franchissant instantanément la distance entre nos deux corps comme si la même angoisse nous reliait, et je n’avais pas eu besoin de me retourner pour savoir que ma sœur n’était plus là et me sentir aussitôt responsable de sa disparition, et tout à coup, chaque arbre et chaque feuille d’arbre sembla véhiculer une menace, j’entendis les voix de mes parents crier le nom de ma sœur à pleins poumons, et cela dura ainsi de longues minutes pendant lesquelles je croyais être devenu fou, pour ma part, j’avais été incapable d’émettre le moindre son, tétanisé par la culpabilité, jusqu’au moment où ma sœur était reparue, le visage grave, presque sentencieux, d’une petite fille porteuse d’un message funèbre, et nous avions vraiment eu cette impression que ma sœur rentrait d’un voyage long de plusieurs années, comme si la forêt l’avait kidnappée, digérée, puis expulsée, et que nous étions face à un être nouveau, régénéré par la durée d’un séjour au cœur des ténèbres dont le sens nous échappait, nous avions eu à cet instant la certitude qu’il s’était écoulé une éternité entre le moment où elle avait disparu et celui où nous l’avions vue sortir d’un fourré, les bras tendus devant elle, comme en état de choc, c’est alors que nous avions remarqué l’écureuil mort exposé à la manière d’une offrande dans les mains de ma sœur, si bien que nous étions restés figés de stupeur et comme interdits face à ce qui avait pris sous nos yeux la dimension de l’inéluctable, avant que mon père n’ait eu cette drôle d’idée de mettre un genou à terre et de

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